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24 juillet 2024

Articles

De nouvelles avancées bienvenues dans la protection des victimes de violences conjugales et intrafamiliales avec la loi du 13 juin 2024 :

L’ordonnance de protection créée par la loi du 9 juillet 2010 permet au juge aux affaires familiales d’assurer la protection d’une victime vraisemblable de violences conjugales la mettant en danger ainsi que les enfants du couple en prononçant en urgence, indépendamment d’un dépôt de plainte, des mesures de protection judiciaires : attribution de droit à la victime du logement conjugal, interdiction pour l’auteur des violences de se rendre au domicile conjugal, exercice exclusif de l’autorité parentale…

Depuis sa création, cette ordonnance a fait l’objet de multiples modifications législatives qui ont permis de libérer la parole des victimes, multiplier le prononcé des ordonnances et améliorer la protection des victimes de violences conjugales et intrafamiliales.

Pourtant, malgré ces avancées majeures ces dernières années, les violences demeurent à des taux élevés et sont d’ailleurs en augmentation.

En effet, selon les chiffres des violences conjugales enregistrés par les services de sécurité en 2022 et publiés par le ministère de l’Intérieur le 16 novembre 2023, les victimes de violences conjugales sont en hausse de 15 % par rapport à 2021, au nombre de 244 000, et sont en grande majorité des femmes.

Les violences sont physiques pour les deux tiers, verbales ou psychologiques dans 30 % des cas et sexuelles pour 5%.

Ces tristes statistiques nous rappellent que la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales sous toutes ses formes doit demeurer une priorité.

Ainsi, la loi n°2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate est donc bienvenue.

Nous vous en résumons la teneur.

I. Renforcement de l’ordonnance de protection :

Le premier apport de la loi du 13 juin 2024 est de renforcer les mesures provisoires de l’ordonnance de provisoire en :

  • portant de 6 à 12 mois la durée des mesures de protection prononcées dans l’ordonnance de protection (la durée initiale fixée à 6 mois a été jugée insuffisante pour permettre à la victime d’organiser sa protection : déménagement, changement d’école pour les enfants…).

Ces mesures peuvent être prolongées si entre-temps une demande en divorce, de séparation de corps ou de fixation des modalités d’exercice de l’autorité parentale est déposée devant le juge aux affaires familiales.

  • permettant au juge de prononcer une ordonnance de protection même en l’absence de cohabitation du couple.
  • permettant au juge d’autoriser la victime à dissimuler son adresse sur les listes électorales (étant rappelé que l’article L.37 du code électoral permet actuellement à tout électeur d’obtenir la communication des listes électorales comprenant les adresses des électeurs).
  • attribuant la garde des animaux de compagnie du foyer à la victime (afin d’éviter qu’ils soient utilisés comme un moyen de pression et de chantage notamment sur les enfants).

II. Création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) :

La création de l’OPPI est le deuxième apport de la loi du 13 juin 2024.

La loi du 13 juin 2024 créé l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) permettant à une victime exposée à un danger grave et immédiat (y compris les personnes menacées de mariage forcé), d’obtenir dans les 24h une ordonnance ayant vocation à assurer sa protection durant le délai de six jours nécessaire au juge aux affaires familiales pour se prononcer sur une demande d’ordonnance de protection.

Avant durant ces six jours, la victime confrontée à un danger grave ou imminent ne bénéficiait d’aucune protection.

Il s’agit donc d’un apport majeur pour la protection des victimes.

Précisons toutefois que l’ordonnance provisoire ne pourra être demandée que par le procureur de la République lorsque le juge aux affaires familiales sera saisi d’une demande d’ordonnance de protection.

Dans le cadre de cette ordonnance provisoire, des mesures de protection judiciaires pourront être prononcées à l’encontre de l’auteur présumé des violences telles que l’interdiction d’entrer en contact avec la victime, l’interdiction de paraître dans certains lieux (domicile, lieu de travail de la victime, école des enfants),la suspension du droit de visite et d’hébergement du parent présumé auteur des violences, l’interdiction de détenir une arme et l’obligation de la remettre aux forces de l’ordre).

Comme dans le cadre de l’ordonnance de protection, le procureur de la République peut également délivrer à la victime un téléphone grave danger, dispositif de téléprotection accessible 7 jours sur 7 et 24h/24 permettant à la victime d’alerter les forces de l’ordre en cas de danger grâce à un téléphone portable disposant d’une touche dédiée.

III. Renforcement des sanctions pénales en cas de violation des mesures ordonnées par le juge :

La loi du 13 juin 2024 augmente la peine en cas de non-respect d’une ou plusieurs obligations ou interdictions imposées par l’ordonnance de protection (portant à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende contre 2 ans de prison et 15 000 € d’amende).

***

Parallèlement, la jurisprudence n’est pas en reste et répond au besoin de protection des victimes de violences conjugales en facilitant le travail probatoire de la victime et en interprétant souplement les conditions législatives.

En effet, dans le cadre d’une demande d’ordonnance de protection, il incombe à la partie demanderesse de prouver conformément à la loi les violences dont elle est victime en respectant le principe de loyauté de la preuve qui interdit en principe de produire un enregistrement à l’insu d’un tiers.

Or, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence aux termes d’un arrêt en date du 22 février 2022 a infléchi la jurisprudence constante en considérant que la production d’un enregistrement à l’insu de l’auteur présumé des violences peut être recevable, l’atteinte au droit au respect de la vie privée et au procès équitable pouvant être justifiée par l’exercice du droit fondamental à la preuve à la condition toutefois que cette atteinte soit proportionnée au but recherché et qu’elle soit indispensable pour prouver le fait allégué.

Cette jurisprudence a été entérinée par la Cour de cassation aux termes d’un arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023 (n°20-20.648).

C’est donc une avancée majeure pour les victimes de violences psychologiques car il est particulièrement difficile voire impossible, en l’absence d’enregistrements, de rapporter la preuve de telles violences dans la mesure où elles se déroulent la plupart du temps dans le huis-clos familial en l’absence de témoins.

Tout récemment encore, aux termes d’un arrêt en date du 23 mai 2024 (n°22-22.600), la Première Chambre Civile de la Cour de cassation a estimé qu’un juge aux affaires familiales qui délivre une ordonnance de protection peut interdire au défendeur d’entrer en relation avec l’enfant de la victime sans se prononcer sur l’existence d’un danger spécialement encouru par l’enfant.

Espérons donc que cet arsenal législatif et judiciaire de plus en plus étoffé permette de mieux protéger les victimes et d’en diminuer substantiellement le nombre.