Le 28 juin 2024 (Cass.Ass. Plén, 28 juin 2024, n° 22-84.760), l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de sa jurisprudence sur la responsabilité des parents séparés, titulaires de l’autorité parentale, du fait des dommages causés par leur(s) enfant(s) mineur(s).
Le Code civil n’envisage que la situation de l’enfant mineur habitant avec ses deux parents, de sorte que la jurisprudence a dû interpréter la notion de « cohabitation » lorsque les parents sont séparés.
Jusqu’à présent, en cas de séparation des parents, la Cour de cassation considérait que la condition de cohabitation prévue par le Code civil pour engager la responsabilité n’était remplie qu’à l’égard du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant avait été fixée par un juge, même si l’autre parent, bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement, exerçait conjointement l’autorité parentale et que le fait dommageable avait eu lieu pendant cet exercice.
Dès lors, seul le parent chez lequel la résidence de l’enfant était fixée pouvait être condamné à réparer les dommages causés par son enfant mineur.
Cette jurisprudence qui déchargeait de sa responsabilité de plein droit le parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant n’a pas été fixée ne s’accordait pas avec l’objectif de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 consacrant le principe de coparentalité et avec le principe posé par l’article 18§1 de la Convention internationale des droits de l’enfant selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement.
Désormais, la Cour de cassation interprète la notion de cohabitation comme la conséquence de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, laquelle emporte pour chacun des parents un ensemble de droits et de devoirs.
Par conséquent, lorsque les parents exercent conjointement l’autorité parentale à l’égard de leur enfant mineur, ils sont tous deux solidairement responsables des dommages causés par ce dernier dès lors que l’enfant n’a pas été confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire.
Jusqu’à présent, la Cour de cassation considérait que la preuve obtenue à l’insu de son adversaire (enregistrement clandestin par exemple) était déloyale et donc irrecevable.
Par un arrêt du 22 décembre 2023 (Cass.Ass.Plén, 22 décembre 2023, n° 20-20.648) la Cour de cassation en Assemblée Plénière juge que la déloyauté n’est plus nécessairement un motif d’irrecevabilité.
En l’espèce, elle retient donc comme mode de preuve un enregistrement audio du salarié obtenu à son insu.
Le Juge devra donc apprécier au cas par cas si le mode de preuve ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de l’adversaire.
Ce faisant, la Cour de cassation suit la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
En effet, celle-ci ne retient pas par principe l’irrecevabilité des preuves déloyales.
Elle demande au Juge de « mettre en balance » les droits et intérêts en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
L’ordonnance de protection créée par la loi du 9 juillet 2010 permet au juge aux affaires familiales d’assurer la protection d’une victime vraisemblable de violences conjugales la mettant en danger ainsi que les enfants du couple en prononçant en urgence, indépendamment d’un dépôt de plainte, des mesures de protection judiciaires : attribution de droit à la victime du logement conjugal, interdiction pour l’auteur des violences de se rendre au domicile conjugal, exercice exclusif de l’autorité parentale…
Depuis sa création, cette ordonnance a fait l’objet de multiples modifications législatives qui ont permis de libérer la parole des victimes, multiplier le prononcé des ordonnances et améliorer la protection des victimes de violences conjugales et intrafamiliales.
Pourtant, malgré ces avancées majeures ces dernières années, les violences demeurent à des taux élevés et sont d’ailleurs en augmentation.
En effet, selon les chiffres des violences conjugales enregistrés par les services de sécurité en 2022 et publiés par le ministère de l’Intérieur le 16 novembre 2023, les victimes de violences conjugales sont en hausse de 15 % par rapport à 2021, au nombre de 244 000, et sont en grande majorité des femmes.
Les violences sont physiques pour les deux tiers, verbales ou psychologiques dans 30 % des cas et sexuelles pour 5%.
Ces tristes statistiques nous rappellent que la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales sous toutes ses formes doit demeurer une priorité.
Ainsi, la loi n°2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate est donc bienvenue.
Nous vous en résumons la teneur.
I. Renforcement de l’ordonnance de protection :
Le premier apport de la loi du 13 juin 2024 est de renforcer les mesures provisoires de l’ordonnance de provisoire en :
Ces mesures peuvent être prolongées si entre-temps une demande en divorce, de séparation de corps ou de fixation des modalités d’exercice de l’autorité parentale est déposée devant le juge aux affaires familiales.
II. Création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) :
La création de l’OPPI est le deuxième apport de la loi du 13 juin 2024.
La loi du 13 juin 2024 créé l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) permettant à une victime exposée à un danger grave et immédiat (y compris les personnes menacées de mariage forcé), d’obtenir dans les 24h une ordonnance ayant vocation à assurer sa protection durant le délai de six jours nécessaire au juge aux affaires familiales pour se prononcer sur une demande d’ordonnance de protection.
Avant durant ces six jours, la victime confrontée à un danger grave ou imminent ne bénéficiait d’aucune protection.
Il s’agit donc d’un apport majeur pour la protection des victimes.
Précisons toutefois que l’ordonnance provisoire ne pourra être demandée que par le procureur de la République lorsque le juge aux affaires familiales sera saisi d’une demande d’ordonnance de protection.
Dans le cadre de cette ordonnance provisoire, des mesures de protection judiciaires pourront être prononcées à l’encontre de l’auteur présumé des violences telles que l’interdiction d’entrer en contact avec la victime, l’interdiction de paraître dans certains lieux (domicile, lieu de travail de la victime, école des enfants),la suspension du droit de visite et d’hébergement du parent présumé auteur des violences, l’interdiction de détenir une arme et l’obligation de la remettre aux forces de l’ordre).
Comme dans le cadre de l’ordonnance de protection, le procureur de la République peut également délivrer à la victime un téléphone grave danger, dispositif de téléprotection accessible 7 jours sur 7 et 24h/24 permettant à la victime d’alerter les forces de l’ordre en cas de danger grâce à un téléphone portable disposant d’une touche dédiée.
III. Renforcement des sanctions pénales en cas de violation des mesures ordonnées par le juge :
La loi du 13 juin 2024 augmente la peine en cas de non-respect d’une ou plusieurs obligations ou interdictions imposées par l’ordonnance de protection (portant à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende contre 2 ans de prison et 15 000 € d’amende).
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Parallèlement, la jurisprudence n’est pas en reste et répond au besoin de protection des victimes de violences conjugales en facilitant le travail probatoire de la victime et en interprétant souplement les conditions législatives.
En effet, dans le cadre d’une demande d’ordonnance de protection, il incombe à la partie demanderesse de prouver conformément à la loi les violences dont elle est victime en respectant le principe de loyauté de la preuve qui interdit en principe de produire un enregistrement à l’insu d’un tiers.
Or, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence aux termes d’un arrêt en date du 22 février 2022 a infléchi la jurisprudence constante en considérant que la production d’un enregistrement à l’insu de l’auteur présumé des violences peut être recevable, l’atteinte au droit au respect de la vie privée et au procès équitable pouvant être justifiée par l’exercice du droit fondamental à la preuve à la condition toutefois que cette atteinte soit proportionnée au but recherché et qu’elle soit indispensable pour prouver le fait allégué.
Cette jurisprudence a été entérinée par la Cour de cassation aux termes d’un arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023 (n°20-20.648).
C’est donc une avancée majeure pour les victimes de violences psychologiques car il est particulièrement difficile voire impossible, en l’absence d’enregistrements, de rapporter la preuve de telles violences dans la mesure où elles se déroulent la plupart du temps dans le huis-clos familial en l’absence de témoins.
Tout récemment encore, aux termes d’un arrêt en date du 23 mai 2024 (n°22-22.600), la Première Chambre Civile de la Cour de cassation a estimé qu’un juge aux affaires familiales qui délivre une ordonnance de protection peut interdire au défendeur d’entrer en relation avec l’enfant de la victime sans se prononcer sur l’existence d’un danger spécialement encouru par l’enfant.
Espérons donc que cet arsenal législatif et judiciaire de plus en plus étoffé permette de mieux protéger les victimes et d’en diminuer substantiellement le nombre.
Par un arrêt du 23 mai 2024 (Cass.Civ 1ère, 23 mai 2024, n° 22-22.600), la Première Chambre Civile de la Cour de cassation est venue préciser les contours de l’office du Juge aux Affaires Familiales en matière d’ordonnance de protection.
La question était de savoir si, dans le cadre de violences intrafamiliales, le Juge aux Affaires Familiales dispose du pouvoir de restreindre les droits parentaux du conjoint violent lorsque des violences sont à craindre pour le conjoint menacé et les enfants communs du couple.
En l’espèce, les circonstances ont permis d’établir qu’il existait des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables les violences alléguées par l’épouse, de sorte que le Juge aux Affaires Familiales lui a délivré une ordonnance de protection et a interdit au père d’entrer en contact avec la mère et l’enfant commun du couple sans se prononcer sur l’existence d’un danger encouru par l’enfant.
Le conjoint violent a interjeté appel de la décision considérant que l’ordonnance était destinée à protéger son épouse et non leur enfant et la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance de protection bénéficiant à l’enfant du couple.
La position de la Cour de cassation est claire : le Juge aux Affaires Familiales peut étendre le bénéfice de l’ordonnance de protection délivrée au conjoint menacé aux enfants communs du couple, sans se prononcer sur l’existence d’un danger spécialement encouru par eux et interdire en conséquence au parent violent de les recevoir ou de les rencontrer, ainsi que d’entrer en contact avec eux, de quelque façon que ce soit.
Le Juge peut donc restreindre voire supprimer les droits parentaux du parent violent avec son conjoint.
Une belle avancée.
Désormais, le parent poursuivi par le Ministère Public ou mis en examen par le Juge d’Instruction pour un crime commis sur l’autre parent mais aussi pour une agression sexuelle incestueuse ou pour un crime commis sur son enfant, perd automatiquement son autorité parentale et son droit de visite et d’hébergement le temps de la procédure pénale (article 378-2 du Code Civil).
Cette suspension prendra le cas échéant fin, soit par une décision du Juge aux Affaires Familiales que le parent pourra saisir, soit à l’issue de la procédure pénale.
Parallèlement, pour les infractions les plus graves, c’est-à-dire les crimes ou les agressions sexuelles incestueuses commis sur son enfant par le parent, ce dernier se verra automatiquement retirer l’autorité parentale par le Juge pénal, sauf décision contraire spécialement motivée.
Dès lors que les parents manquent à leur devoir en se montrant violents, le Juge y compris pénal intervient pour protéger les enfants !
Cette loi constitue une avancée indéniable mais la route est encore longue afin de protéger pleinement l’enfant..
En l’espèce, la Cour de cassation retire l’exercice de l’autorité parentale au parent responsable de l’escalade du conflit arrêt du 16 novembre 2022 (Civ 1ère, 16 novembre 2022, n°21-15.002)
En l’espèce, alors même que les parents exerçaient en commun l’autorité parentale à l’égard de l’enfant, la mère a multiplié les procédures judiciaires et les démarches non concertées à propos de la scolarisation de l’enfant, retardé unilatéralement le retour de l’enfant auprès de son père, qu’elle n’avait eu de cesse de dénigrer, et alerté les forces de l’ordre et le Procureur de la République.
Elle avait elle-même désigné l’enfant comme « l’enfant de la guerre » !
L’escalade du conflit parental, alimenté par la mère, a créé chez l’enfant un état d’insécurité permanente, le plaçant dans un conflit de loyauté tel que selon la Cour de cassation son intérêt justifiait de confier l’exercice unilatéral de l’autorité parentale au père.
Elle estime ainsi que le comportement de la mère démontre non seulement son inaptitude à respecter les droits de l’autre parent mais surtout à répondre aux besoins de l’enfant.
Cette décision ne peut qu’être saluée car l’enfant doit être protégé du conflit.
Les Juges ont trop tendance à renvoyer les parents dos à dos…
Certes, ils sont parfois tous deux responsables du conflit parental mais pas toujours et il faut trouver les moyens de désarmer le parent qui, alimente le conflit…pour l’enfant.
Beau rappel à l’ordre de la Cour de cassation !
Intervention de Marielle Trinquet aux Etats généraux du droit de la famille 2023
La prestation compensatoire s’apprécie indépendamment des droits que les époux tirent du régime matrimonial.
Le 21 septembre 2022 (Civ 1ère, 21 septembre 2022, n°21-12.344), la Première Chambre Civile de la Cour de cassation est venue confirmer une jurisprudence constante (Civ 1ère, 21 septembre 2016, n° 15-14.986) selon laquelle l’appréciation de la disparité pour fixer une prestation compensatoire est déterminée indépendamment de la part de communauté devant revenir à l’époux créancier de la prestation compensatoire.
En l’espèce, un époux a été condamné à verser à son épouse une prestation compensatoire évaluée en excluant les droits des époux dans liquidation de leur régime matrimonial.
Contestant l’évaluation réalisée par les juges du fond, l’époux a formé un pourvoi reprochant à la Cour d’Appel de ne pas avoir recherché si la liquidation du patrimoine commun n’était pas de nature à réduire sensiblement les besoins de l’épouse créancière de la prestation compensatoire.
En d’autres termes, la liquidation à venir du régime matrimonial devait-elle être prise en compte dans la fixation de la prestation compensatoire ?
La Haute Juridiction n’accueille pas le moyen : « la liquidation du régime matrimonial des époux étant par définition égalitaire, il n’y avait pas lieu de tenir compte de la part de communauté devant revenir à Mme [U] pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux ».
La critique est permise lorsque l’on sait que très souvent les époux ont des droits inégalitaires dans la communauté car ils sont titulaires d’une dette ou créance de communauté et que l’article 271 du Code civil impose de prendre en compte les patrimoines des époux après la liquidation du régime matrimonial.
A nuancer : les droits dans la liquidation ne sont pas pris en compte pour apprécier la disparité mais dès lors qu’elle est établie, le résultat prévisible de la liquidation du régime matrimonial sera pris en compte afin de chiffrer la prestation compensatoire.
Espérons que la Cour de cassation reverra prochainement sa copie !
Petite révolution, à compter du 1er mars 2022, sous réserve des deux exceptions visées à l’article 373-2-2 II 1° et 2° du Code civil (refus conjoint des parents (sauf violences conjugales) et décision du juge), l’intermédiation financière s’étendra à tous les divorces judiciaires, dès lors que la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants sera fixée en tout ou partie en numéraire !
À compter du 1er janvier 2023, l’intermédiation financière sera généralisée à tous les autres types de décisions de justice ou titres prévues à l’article 373-2-2 du Code civil dont les divorces par consentement mutuel extrajudiciaires.
Désormais, le parent qui doit verser la pension alimentaire effectuera directement son paiement auprès de la CAF ou de la MSA.
Le parent créancier recevra alors automatiquement la pension de la CAF ou de la MSA tous les mois et non plus de son ex-conjoint(e).
L’objectif est de sécuriser le paiement des pensions alimentaires, de prévenir les impayés, et de lutter également contre le non-recours à l’allocation de soutien familial.
À noter que dans le cadre de ce système et dans l’hypothèse d’impayés, c’est l’organisme, et non le parent créancier, qui mettra en œuvre les procédures de recouvrement forcé de la pension alimentaire, dès lors qu’une échéance est impayée depuis au moins quinze jours (article R. 582-8 du Code de la sécurité sociale).